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Agriculture bio : de la fourche à l'assiette

Agriculture bio : de la fourche à l'assiette

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Qu'est-ce que l'agriculture biologique ? Que garantit le cahier des charges ? Est-il suffisamment exigeant ? De quelles aides peuvent bénéficier les agriculteurs ? Le modèle bio est-il rentable pour eux ? Le point sur ces questions.
Photo de LuAnn Hunt sur Unsplash

[Cet article a été initialement publié dans le guide IDÉES PRATIQUES #11 : Tout savoir sur l'alimentation bio, réalisé par ID L'Info Durable]

"L’agriculture biologique a recours à des pratiques de culture et d’élevage soucieuses du respect des équilibres naturels. En effet, elle exclut l’usage des produits chimiques de synthèse, des OGM et limite les intrants", définit le ministère de l’Agriculture.

L'agriculture bio, qu'est-ce que c'est ?

Sans pesticide, sans OGM. Le "sans", est en effet le principal déterminant de l’agriculture biologique. Par opposition à la conventionnelle, la bio se veut, en premier lieu, plus respectueuse de la terre. On lui prête de nombreux avantages, tels que la préservation de la qualité des sols, de la biodiversité, de l’eau...

En outre, sa certification peut concerner de nombreux produits : légumes, céréales, fruits, œufs, lait, viande ou autres aliments bruts ; mais également fromage, plats préparés et autres aliments dits transformés. Enfin, certains produits destinés à une consommation non-alimentaire peuvent également être certifiés bio, tels que les fleurs, les fibres textiles ou encore l’alimentation animale. En revanche, ceux-ci ne relèvent pas toujours de la même réglementation.

ET AUSSI...

  • Outre le respect de l’environnement et de la biodiversité qu’impose le cahier des charges, l’agriculture biologique, lorsqu’elle s’applique aux élevages, doit également répondre à des normes de bien-être animal : accès à l’extérieur, densité de troupeau limitée, nourriture bio...

  • Quant aux produits alimentaires dits transformés que l’on retrouve dans les rayons de supermarché, lorsque ceux-ci sont certifiés bio, l’ajout de colorants, exhausteurs de goût ou encore additifs est restreint ou interdit.

Quels pesticides autorisés en bio ?

Comment se traduit ce "respect des équilibres naturels" ? Lorsque l’on parle d’une agriculture "sans pesticide", il s’agit précisément de l’exclusion des produits chimiques de synthèse. Soit ceux élaborés en laboratoire. En revanche, l’usage de produits considérés d’origine naturelle, "végétale, animale, microbienne ou minérale", est pour sa part autorisé en agriculture biologique. La réglementation tolère une centaine d’intrants tels que les composts mais aussi le chlorure de sodium, le sulfate de cuivre, de magnésium...

Quid de leur dangerosité ? D’un produit "naturel" à l’autre, les effets sur la santé et sur l’environnement varient. Utilisés pour détruire les mauvaises herbes et les nuisibles, ils ne sont ainsi pas sans conséquence, mais présentent l’avantage de s’estomper plus facilement, sous l’effet de la pluie ou du soleil par exemple. Quoi qu’il en soit, ces produits bénéficient d’une autorisation de mise sur le marché, après évaluation des risques par l’Anses.

Sans pesticide chimique donc, exception faite "en cas de menace avérée pour une culture et seulement pour cette raison", précise toutefois l’Agence Bio. Au-delà de ces produits de traitement autorisés en agriculture biologique, le cahier des charges impose également d’autres pratiques agricoles visant à limiter son impact sur le vivant et les sols. Il exige par exemple la rotation des cultures, la variété des semences...

Entretien avec Philippe Camburet, Président de la Fédération Nationale d’Agriculture Biologique (FNAB)

On considère souvent la bio comme une agriculture sans pesticide. C'est un raccourci ?

L’agriculture biologique revient à cultiver, élever, produire des produits alimentaires sans utiliser aucune substance chimique de synthèse. Nous avons toutefois le droit de faire usage de produits issus de processus naturels. La bouillie bordelaise est par exemple utilisée sur les vergers pour limiter l’attaque des champignons. Nous pouvons aussi utiliser du savon noir car il va se dégrader rapidement dans le sol, et n’aura pas de conséquences durables sur l’environnement.

Au-delà de ces ajustements dans l’utilisation des produits, quels sont les grands changements auxquels doivent s’atteler les agriculteurs en conversion du conventionnel vers le bio ?

Le principal défi va être d’accepter de changer de mode de réflexion sur les pratiques du métier. En agriculture conventionnelle, si un animal semble en mauvaise santé, on va lui donner des vitamines et des minéraux. En bio, nous allons essayer d’apprécier son état de santé de manière globale, en trouvant des solutions dans son alimentation ou son environnement. Il y a aussi une considération du temps qui est différente. Les rotations de culture sont par exemple beaucoup plus longues.

La nouvelle PAC a fait beaucoup de bruit. Dans quelle mesure le contexte actuel impacte-t-il les conversions vers le bio ?

Le contexte actuel est incertain et n’est pas forcément rassurant. Les aides au maintien, qui ont il y a un ou deux ans, ne seront pas reconduites dans la prochaine PAC. Nous avons un contexte de demande qui est en berne. Le gouvernement a mis de côté l’aspect développement par la stimulation de la consommation. Il a toujours considéré que c’était le marché qui devait accompagner le développement de l’agriculture biologique. À l’inverse, pour ceux qui envisagent de rester en conventionnel, le contexte semble plus favorable. On envisage de réautoriser des produits chimiques, on parle de redonner accès à l’eau pour pouvoir irriguer et produire plus. Autant d’arguments qui poussent vers une persistance dans l’agriculture conventionnelle.

Le cahier des charges de l'Agriculture Biologique

  • Ni engrais, ni produit chimique dits "de synthèse"

  • Aucun OGM

  • Recyclage des déchets organiques

  • Rotation des cultures, variation des espèces

  • Respect du bien-être animal

  • Utilisation d’alimentation bio sur les exploitations d’élevage

Le 1er janvier 2022, un nouveau règlement européen est entré en application. Il vise à renforcer les exigences des anciens textes et à élargir son ambition. Mais ces modifications paraissent toutefois timides : "Bien mais peut mieux faire (…) Ce texte n’engage aucun changement radical, se contentant de combler des lacunes", juge notamment l’UFC-Que Choisir.

Parmi les progressions, l’UE a par exemple légiféré sur la contribution de l’agriculture bio à la préservation du climat. Mais le changement le plus conséquent de ce nouveau règlement concerne les importations. Désormais, tout produit bio en provenance de pays tiers doit respecter le cahier des charges européen. Une mesure qui entend combler une faille, tandis que des autorisations peu exigeantes étaient jusqu’ici accordées.

Des contrôles annuels

Ne fait pas du bio qui veut. Tout exploitant, lorsqu’il se convertit, doit se soumettre à des contrôles réguliers. En cas de manquement, sa certification peut être suspendue ou annulée.

Les contrôles annuels
ID L'info durable

Ces contrôles - surprises – sont réalisés une fois par an par des organismes certificateurs agréés par l’Etat. Ceux-ci procèdent notamment à des prélèvements sur les exploitations, lesquels sont ensuite envoyés en laboratoire pour être analysés et ainsi détecter les éventuelles traces d’intrants chimiques, interdits en agriculture biologique. Le contrôleur passe également au crible tout autre technique et système relatifs au cahier des charges – cultures, bien-être animal... Enfin, il procède aux vérifications administratives. Si l’on parle ici d’un contrôle réalisé sur une ferme bio, ces examens concernent en outre tous les maillons de la chaîne, du producteur au distributeur.

Une longue conversion

"Les agriculteurs sont pointés du doigt pour leurs pratiques alors qu’ils sont pris dans un système où ils n’ont pas vraiment le choix. C’est de plus en plus dur pour eux. Ils ont de moins en moins de possibilités pour cultiver. Les prix sont élevés et les salaires sont très bas. La situation est difficile. Privilégier le bio de France est un choix pour la santé mais aussi pour notre culture", estime Robin Mesnage, chercheur au King’s College de Londres, toxicologue spécialisé sur les questions de traitement agricoles.

Comment se mettre au bio ? Les exploitants en conventionnel, avant d’être certifiés bio, doivent se soumettre à une période dite "de conversion". Il s’agit de la période de transition entre les deux modes de production, jusqu’à l’obtention de la certification bio. Selon le type d’exploitation, celle-ci varie de 2 à 3 ans, le temps que le sol se "nettoie" des produits phytopharmaceutiques utilisés jusqu’alors. La transition des exploitations animales, quant à elle, oscille entre 6 semaines et un an.

Bon à savoir : Si les agriculteurs doivent attendre la fin de cette période de conversion pour obtenir la certification, ils peuvent toutefois bénéficier de la mention "en conversion vers l’agriculture biologique", dès la deuxième année de transition. La conversion vers l’agriculture biologique implique pour l’exploitant de nombreux changements de paradigmes, de nouveaux outils, des rendements moindres... Ainsi, des aides à la conversion sont mises en place par l’Etat et les municipalités.

La PAC, objet de litige

Le 31 août 2022, la Commission européenne a validé le plan français de Politique agricole commune (PAC). Après avoir fait l’objet de quelques critiques...

QU’EST-CE QUE LA "POLITIQUE AGRICOLE COMMUNE" (PAC) ?

Il s’agit d’un dispositif d’aides financières accordées aux agriculteurs et agricultrices, tous modes de production confondus. Mise à l’œuvre au sein de l’Union, la PAC a pour but de "développer et soutenir les agricultures des Etats membres". Les 27 ont dû présenter à la Commission leur "plan stratégique national" (PSN) pour la prochaine PAC applicable à la période 2023-2027. En France, ce plan n’a pas mis tout le monde d’accord. En effet pour Bruxelles – comme pour les agriculteurs concernés -, le texte initial défavorisait la filière bio.

Celui-ci proposait à l’origine des aides aux revenus plus conséquentes pour les agriculteurs aux exploitations dites "Haute valeur environnementale" (HVE). C’est à-dire, s’engageant dans des pratiques plus vertueuses, sans pour autant répondre au cahier des charges du bio. S’estimant lésée, la filière bio avait notamment dit sa colère l’an dernier en manifestant nue sous le slogan "La PAC nous met à poil". Estimant que cette proposition française n’était pas en ligne avec le Pacte vert européen, la Commission avait ainsi retoqué le texte dans sa première version au mois de mars dernier. Le ministère de l’Agriculture est donc revenu sur ses arbitrages pour présenter un nouveau plan au mois de juillet dernier, réhaussant les aides destinées à la filière bio.

Entretien avec Damien Trihan, agriculteur et éleveur en cours de conversion pour la Coopérative Agrial

Pourquoi avoir choisi de vous convertir à l’agriculture biologique ?

J’avais fait le tour du conventionnel, je n’étais plus satisfait au quotidien. Pour la culture du maïs, j’utilisais des produits phytosanitaires mais les résultats étaient malgré tout moins performants. J’en avais également assez d’être dépendant de l’achat de certains aliments comme le tourteau de soja... J’avais en tête de me convertir vers le bio depuis longtemps et j’ai finalement entamé les démarches en 2021. Après avoir remboursé des emprunts liés aux équipements de traite, aux stabulations des animaux en hiver, j’ai attendu d’avoir moins de pression financière pour me risquer à la conversion au bio, avec la baisse de la production qui en découle, mais qui correspond mieux à mes aspirations.

Le bio ne se porte pas aux mieux actuellement. Avez-vous des inquiétudes ?

J’ai des interrogations sur les débouchés. Avec le confinement, les consommateurs se sont tournés vers le bio mais aujourd’hui ils s’en détournent. Il faudrait qu’ils aient une attitude à la hauteur de leur discours. C’est une utopie de dire que le bio ne doit pas être cher. L’alimentation, même non bio, a un prix. Toutefois, ma conversion m’a permis d’avoir une meilleure rémunération. J’accepte aussi les limites de ce nouveau mode de production, lorsqu'un champ est ravagé par des taupins car les semences ne sont pas protégées par exemple, je sais que les vaches produiront moins de lait... Mais je l’accepte, et adopte d’ailleurs la même attitude face aux aléas climatiques, qui touchent finalement aussi les agriculteurs dans le conventionnel.

De quelles aides avez-vous bénéficié pour vous convertir ?

Ma coopérative me verse une aide à hauteur de 40 euros/1000 litres de lait produits. Je bénéficie également des aides à la conversion de la région, et celles de la PAC. Elles m'ont permis d’optimiser l’achat de semences bio qui sont plus chères.

Des avantages...

On attribue à l’agriculture biologique de multiples vertus. En 2016, une étude très attendue par la filière, menée par l’Institut technique de l’agriculture biologique (ITAB) se penchait sur les bénéfices économiques que l’on pouvait attribuer à ce mode de production. La première du genre à chiffrer ses atouts. Mais de nombreuses autres études se sont également intéressées aux aspects sanitaires, environnementaux, sociaux de l’agriculture bio et ont permis d’en tirer des bienfaits.

  • Des sols et de l’eau de meilleure qualité

"Plus riches en matière organique, les sols agricoles des parcelles cultivées en agriculture biologique accueillent davantage d’animaux, parfois microscopiques", note l’Agence Bio. Autant d’atouts permettant de favoriser notamment la "stabilité structurale", la "porosité", la "capacité de rétention d’eau" des sols, entraînant pour les cultures une plus grande résistance à la sécheresse. L'exclusion de produits chimiques de synthèse conduit en outre à une meilleure préservation de la faune et la flore aquatique

  • L’atout climat

L’agriculture biologique, par rapport à la conventionnelle, d'une part limite les rejets polluants, et d'autre part permet une plus grande capacité de stockage de CO2 des sols. Le stockage de carbone organique dans les sols est plus important qu’en conventionnel.

  • L’atout santé

Plusieurs études ont fait état des bénéfices de l’alimentation bio sur la santé. Parmi les plus récentes, l’une publiée en février 2022 dans la revue Environment International concluait à une réduction du stress oxydatif chez les consommateurs de bio. Et ce, en raison de la diminution de l’exposition aux pesticides.

... Et des dérives

Si le bio rafle la mise, certains segments de la filière pourraient le tirer vers le bas. Au risque de devenir un véritable "fourre-tout". En 2019, le magazine 60 millions de consommateurs alertait notamment sur les dérives du bio. En passant au crible quelque 130 produits estampillés, le constat est sans appel : les fruits et légumes bio seraient les seuls auxquels on pourrait vraiment faire confiance.

Pour les autres, le magazine pointait notamment la prise d’assaut du créneau bio par les géants de l’industrie. Lesquels s’en tiendrait au seul cahier des charges, omettant d’autres aspects pourtant pleinement ancrés dans la philosophie des acteurs du bio de la première heure. Résultat : des huiles de palme dans les pâtes à tartiner, des nitrites dans les charcuteries, des dioxines dans les œufs et le lait, des phtalates dans les huiles d’olive... Autant d’ingrédients problématiques à plusieurs niveaux, que l’on ne retrouve pas nécessairement chez les équivalents non-bio.

En pratique ?

Comment s’en prémunir ? En commençant par scruter les étiquettes : notamment pour les produits transformés, en analysant les listes d’ingrédients, ainsi que les packagings parfois trompeurs - présence ou non de labels, mentions "vertes" telle que "naturel", "plein air"... Il existe des produits plus ou moins naturels pour lesquels il est conseillé d'être vigilant quant aux recettes : éviter les listes longues de colorants, gélifiants, arômes, les calories trop importantes, les sucres ajoutés…

Autrement, les enseignes spécialisées, plutôt que la grande distribution, apparaissent plus sûres pour trouver du "vrai" bio. Biocoop, parmi les pionnières en la matière, ou encore Naturalia, La Vie Claire... Les circuits courts sont également une bonne option et peuvent présenter un avantage économique. Les Amaps, les ventes directes à la ferme, les marchés ou encore les plateformes spécialisées comme La Ruche qui dit oui! comptent parmi les solutions les plus accessibles.

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